« You’re gonna get square eyes ! » – La question de la VO avec les enfants

Suite à une discussion sur Twitter où on s’interrogeait sur la manière d’aborder la VO avec les enfants (merci à @ThetrueSeb), je ne me suis pas senti tout d’abord légitime et compétent pour répondre à la question. Je ne suis en effet ni pédagogue, ni un professionnel. Mais la question m’intéresse pas mal au final et m’a fait cogité un peu.

Il faut dire que j’ai aussi cette chance d’avoir grandi et d’habiter à Paris où voir un film en VO est facile, sinon une évidence. J’ai découvert et appris à apprécier la VO au cinéma quand j’étais ado dans les années 90 avec le Roi Lion. Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai découvert le plaisir de regarder des séries américaines en version originale grâce à Friends. Regarder quelque chose en VO, quelle que soit la langue, est chez ma femme et moi quelque chose de normal pour apprécier les jeux d’acteurs et les dialogues originaux. Du moins jusqu’à l’arrivée des enfants.

Tout d’abord il faut dire que mes enfants sont pour l’instant petits. Si le grand qui a 4 ans peut parfaitement comprendre les dialogues, il ne sait pas encore lire. On est donc obligé de lui lire les sous-titres et de faire la traduction simultanée à sa demande, ce qui peut être fait à la maison mais c’est nettement plus problématique dans une salle de cinéma. C’est pourquoi à notre grand regret, on a été voir La Grande Aventure Lego en version française. Ajoutons à cela le fait que personne ne profite pleinement du film. Mais est-ce une fatalité ou bien est-ce qu’on s’y prend comme des manches ?

La VO est-elle inabordable pour les enfants ?

Il y a le support de l’image qui peut aider à la compréhension. Au pire, juste avec l’image, on peuvent se créer un scénario et imaginer ce qui se passe. Comme je l’ai raconté dans mon article sur Robocar Poli, on a découvert ce dessin animé sur Youtube alors qu’il était en coréen et ce sont les images qui ont plu à Fiston (mais il était plus petit à l’époque). De même, on suit les épisodes ripés de la nouvelle saison de Power Rangers Super Megaforce en VO, toujours sur Youtube. Je lui fais la traduction simultanée mais ça lui plait parce que c’est une série d’action et que Papa est là pour lui expliquer.

C’est un peu comme si un enfant regardait un album illustré mais dans une autre langue. Les images lui parlent mais il ne comprend pas forcément l’histoire. Dans le cas d’une bande dessinée, si elle est bien faite, on peut saisir le gros de l’intrigue mais il manquera les détails.

L’avantage c’est que ça fait comprendre aux enfants l’existence d »autres langues que la langue maternelle. Mais étant d’origine chinoise, mes enfants connaissent très bien ce concept (bien que j’avoue ne pas leur parler suffisamment chinois pour en faire des bilingues). Même si les enfants sont toujours plus surprenants qu’on l’imagine, je ne sais pas juste regarder des trucs en langue étrangère, sans les plonger totalement dedans, leur fera apprendre cette langue plus rapidement ou plus aisément. Je manque d’expérience et de connaissance sur ce sujet. J’aimerais beaucoup avoir des retours sur ce point, même si je ne me sens pas assez compétent pour aborder le thème du bilinguisme ici.

Ceci étant, je ne me suis pas vraiment posé la question jusqu’alors et je trouve l’expérience intéressante à tenter avec sur un dessin animé que mes enfants ne connaissent pas. J’espère juste être assez patient pour répondre à toutes les interrogations de Fiston-la-pipelette.

La VF, une solution de facilité ?

Tout d’abord, il faut signaler qu’il y a beaucoup de pays où il n’y a pas de version localisée, où la plupart des films ne sont qu’en VO. Exception culturelle oblige, il faut reconnaître qu’en France, les doublages sont très souvent très bons sur les dessins animés et sur les longs métrages sortis récemment en salles. Sur les quelques dessins animés que j’ai pu voir, il y avait un très bon travail d’adaptation et le jeu des comédiens de doublage colle bien à la série. Il est loin le temps des adaptations foireuses sur les dessins animés japonais des années 90 ! Finies les même voix de gamins stressants qu’on entend toujours d’un dessin animé à l’autre ! Pour ça, je ne regrette vraiment pas cette période-là. Sur ce point, la VO n’est pas indispensable et je ne pense pas qu’on perde grand chose à regarder Sam le Pompier ou Robocar Poli en français.

La version localisée (plutôt que VF) permet à l’enfant de comprendre les dialogues et l’histoire. A un âge où on apprend à mieux s’exprimer, où on a beaucoup beaucoup de questions (si vous avez à la maison un enfant de 3-4 ans, vous savez ce que je veux dire), comprendre ce qui se dit dans un dessin animé, un film ou une série est important. Comme je le racontais dans mon article sur Cars, très vite mon fils a commencé à jouer et reproduire les scènes du film en reprenant les dialogues. Un autre enfant dans mon entourage connaissait quasiment par cœur les répliques du film.

Après j’avoue que la version localisée pour les enfants est un confort : mon fils parlant français, à moins d’y être obligé (sur les vidéos de Youtube par exemple), je ne voyais pas l’intérêt de lui proposer un truc dont il ne comprendrait pas grand chose. Ce n’est pas lui faire plaisir. Or la télé ça doit être un moment de plaisir. Mais on revient à la question de l’âge de l’enfant. Et je reste convaincu qu’il faut que les enfants puissent comprendre ce qu’ils regardent.

Mais que penser des programmes bilingues ?

C’est vrai qu’il y a la solution intermédiaire des programmes bilingues. L’un des premiers qui me vient en tête c’était sur Arte les vieux dessins animés de Lucky Luke en allemand sous-titrés français chez nous (et en français sous-titrés en allemand outre-Rhin). Un truc un peu brutal, je trouve.

On a aujourd’hui dans les émissions dont j’ai parlé des dessins animés qui veulent faire apprendre des mots et des phrases d’une autre langue. Je pense bien sûr à Dora l’Exploratrice, mais je peux aussi citer les Kiwis sur France 5 pour apprendre l’anglais ou encore un dessin animé que j’aimerais beaucoup découvrir Ni-Hao Kailan pour apprendre le mandarin.

Dora est un dessin animé interactif où le jeune téléspectateur est invité à aider les personnages dans une aventure colorée en chansons et en phrases anglaises. Certains personnages parlent entièrement en anglais sans nécessairement de traduction. J’imagine que ça doit être un peu déstabilisant. Il n’y a aucun rappel sur les mots en anglais. Je trouve ça un peu fouillis et peu structuré. Je me demande ce que les enfants en retiennent.

Dans les Kiwis, ce sont des petits sketchs mettant en scène 2 personnages en pâte à modeler pour illustrer des mots de vocabulaire. Les phrases sont dites d’abord en français, puis en anglais, avant d’introduire les mots qui sont épelés en anglais. Un programme très scolaire et didactique.

J’avoue que je n’ai aucune idée sur l’efficacité de ces programmes ni leur valeur pédagogique. Je sais juste que mon fils adore les Kiwis parce que les personnages sont rigolos et répète les mots du jour, mais ne les retient pas forcément. Une question d’âge encore.

Quelle conclusion ?

Je sais que notre cas personnel est assez particulier. Comme je le disais, nos enfants ont eu très vite conscience d’autres langues que le français avec mes parents qui leur parlent chinois. L’un des super copains de Fiston a une maman américaine et notre petit voisin de palier (qui est dans la même classe que Fiston) a un papa écossais. Mon fils distingue très bien le chinois, l’anglais et le français. Mais nos enfants sont, je pense, dans un cas assez particulier, habitant une très grande ville comme Paris.

Je suis d’accord sur le fait que la VO ou les programmes bilingues contribuent à la prise de conscience par l’enfant d’une autre langue que la langue maternelle. Mais la façon de les aborder dépend selon moi surtout de l’âge :

  • Petit, l’enfant se contentera de regarder les images, se forgeant son propre scénario. Mais encore faut-il que le dessin animé ou le film s’y prête ! Un dessin animé qui bouge comme Robocar Poli ou Transformers Rescue Bots est plus facile à suivre uniquement par les images qu’un dessin animé plus bavard et insistant plus sur l’histoire comme le Village de Dany (mignon mais mou-mou sur lequel je reviens très vite) ou le Ranch.
  • Lorsque l’enfant est en âge de lire et écrire ou qu’il a été initié à l’école à une langue étrangère, les programmes en VO ou bilingues comme Dora ou les Kiwis prennent un intérêt certain. Mais par pur confort, je ne pense pas que c’est vers ces programmes qu’il ira regarder en priorité.
  • Le problème se situe dans l’entre-deux : à l’âge de mon fils (entre le moment où l’enfant parle et l’école primaire), l’enfant est une vraie éponge qui absorbe beaucoup de choses et apprend très vite. Cependant je ne sais pas si l’enfant prendrait plaisir à ne comprendre qu’une partie de l’histoire. Ni même si juste la télé est suffisante pour l’initier à une langue. On sait bien que la répétition est quoiqu’on en dise une des clés de l’apprentissage, surtout à cet âge. Or, à moins de plonger le jeune téléspectateur dans des dessins animés uniquement dans une autre langue que la sienne, je doute qu’un programme dans une autre langue, noyé sous la masse, sera efficace. Sans compter le rôle des parents et de l’environnement, qui sont à mon sens plus efficaces pour l’initier à une langue étrangère.

Bref, tout ça pour dire que ce n’est vraiment pas une question facile. La télé peut être un outil mais elle ne doit pas être le seul. En tout cas, j’essaierai de trouver des épisodes de Ni-Hao Kailan et les tester sur mes enfants pour voir, et je vous en reparlerais ! Je sais qu’il y a encore beaucoup de choses à dire et à discuter et que mon article est très certainement lacunaire, c’est pourquoi je vous invite à en débattre dans les commentaires ! Comme dirait l’autre, « lâche tes coms ! »

7 réflexions au sujet de « « You’re gonna get square eyes ! » – La question de la VO avec les enfants »

  1. En même temps, trouver une séance du film LEGO en VO (et pas en 3D), c’est tendu même à Paris 😥

    Sinon, quand j’étais petit je me souviens que je tentais de regarder les vieux dessins animés américains en noir et blanc qui passaient en VOSTFR sur la 5e chaîne (je reste volontairement vague car je ne me souviens plus du nom du programme ni de celui de cette chaîne à l’époque :p). Comme je savais lire depuis peu, a priori j’aurais pu comprendre… sauf que je ne lisais pas encore assez vite ! Du coup le jeu c’était d’arriver à déchiffrer complètement chaque phrase avant qu’elle ne disparaisse pour laisser la place à une autre.
    Je ne sais pas si comprendre l’histoire dans les détails m’intéressait vraiment, je savais juste qu’il y avait Félix le chat à la téléééééééé (j’étais trop fan de Félix le chat, je crois qu’à la même époque y avait ses aventures plus récentes en Français sur la 2, si je regardais les vieux épisodes en N&B j’avais double ration ! le bonheur, quoi). Je précise que j’habitais en banlieue, où les cinémas ne diffusaient que de la VF et que mes parents avaient habité pas mal d’années en Allemagne avant ma naissance, pays dont il parlaient encore beaucoup. L’Anglais était quasiment absent donc.
    Du coup je ne me posais pas la question d’essayer de comprendre « l’autre langue » qui me demeurait opaque, plutôt juste l’action via l’image, et le texte en français qui s’affichait en-dessous mais jamais assez longtemps >.<

    • C’est pour ça que je parle de « confort » à un moment donné.

      Le truc c’est qu’un Félix le Chat, qui est basé sur des gags, se suit et se comprend bien juste avec les images et l’action. Mais à mon avis, un dessin animé « plus sérieux » et plus centré sur les relations entre personnages demande plus que l’image pour être compris, déjà qu’un enfant ne reste pas longtemps devant un dessin animé où il ne se passe rien !

      C’est aussi pour ça que j’insiste beaucoup sur les âges.

      • Ce souvenir est un peu trop nébuleux pour que je me souvienne de mon âge, désolé :/ En fait je faisais la remarque sur Félix le chat parce que dès qu’on mentionne la VO, on embraye souvent sur la familiarisation voire le début de l’apprentissage d’une autre langue. Dans ma tête de gamin ça n’a jamais été le cas, c’était juste une bataille pour arriver à grappiller des miettes de français dans les sous-titres. Peut-être que je me disais qu’apprendre une autre langue ça passait forcément par des cours à l’école à partir d’une année bien précise.

      • Je suis d’accord avec toi. Pour être franc, je pense que vouloir qu’un enfant se familiarise avec une langue étrangère, c’est bien souvent pour flatter l’ego des parents. Si on laissait le choix aux enfants, ils n’iraient jamais vers un dessin animé dont ils ne comprennent pas la langue.
        Comme tu le dis, je ne pense pas non plus que ça leur vienne à l’esprit qu’un dessin animé puisse se substituer à un parent ou à un instituteur. Ils savent faire la part des choses.

  2. Merci pour cet article très intéressant! Pour le coup je connais assez bien la question du bilinguisme chez les enfants et en plus je suis prof de français langue étrangère. Je remarque qu’on a souvent peur qu’un enfant ne comprenne pas un objet culturel en langue étrangère alors qu’on ne se pose que rarement la question de savoir ce qu’il comprend dans sa langue maternelle. Avec un enfant de 3 ans, on peut souvent s’apercevoir qu’il ne comprend pas toute l’histoire et encore moins tous les niveaux de lecture même si ce qu’il lit/regarde est dans sa langue maternelle. Cette remarque ne s’applique pas seulement à toi qui nous a écrit cet article super intéressant ou à celui qui le lit mais aussi aux concepteurs de Dora par exemple. Pourquoi toujours passer par la traduction? Pourquoi toujours envisager le recours à la langue maternelle? On peut montrer de la VO aux enfants, même s’ils ne comprennent pas tout tant qu’ils éprouvent du plaisir à regarder. Bambi en VO sera, je pense, compris de la même façon qu’en version locale. L’exposition à une langue étrangère ne sera jamais négative sur le plan cognitif donc il faut surtout veiller au plan affectif. L’important est que la langue étrangère puisse être associée à la notion de plaisir de façon à ne pas créer de rejet (qui est le 1er réflexe).
    Pour équilibrer mes propos, j’ajouterais un avantage à la VF qui concerne l’aspect social. C’est dit dans l’article: les enfants rejouent les scènes des films et il est important pour cela d’avoir les même références. Imaginez la complexité rencontrée par des enfants qui voudraient jouer aux 7 nains de Blanche Neige, certains connaissant les prénoms anglais et d’autres les prénoms français…
    Voilà, encore un grand merci pour ton article.

    • Merci pour ce commentaire intéressant mais surtout instructif. Je suis d’accord sur le fait qu’il n’y a rien de négatif dans la VO, mais comme tu le dis, il faut que la notion de plaisir reste intacte pour ne pas braquer les enfants. Tant qu’ils prennent plaisir à regarder quelque chose, qu’importe dans quelle langue. Sûrement que si j’avais mis Cars en VO au tout début, Fiston aurait adoré de la même façon.

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